Document réalisé par Jean MEUNE
Edgar QUINET
D ans la continuité de la philosophie
des Lumières, de la Révolution de 1789, les républicains souhaitaient dégager l’État
de l’emprise de la religion, notamment catholique (Louis-Philippe est encore « roi
de France par la grâce de Dieu » et Napoléon III « empereur des français par la
grâce de Dieu et la volonté nationale ») et réussir la sécularisation de la société
française.
|
|
Depuis 1820, les républicains songeaient à la suppression du régime concordataire, mis en place par Bonaparte en 1801. | Quelques rappels |
En novembre 1904, Emile COMBES, qui depuis le 9 juin 1902, cumule les fonctions
de Ministre du Culte et de l’Intérieur avec celle du Président du Conseil, dépose
un projet de loi portant dénonciation du concordat (en novembre 1904). Son successeur ROUVIER a la charge de la faire voter. BRIAND en est le rapporteur. Le 3 juillet 1905 la loi est adopté par 341 voix (dont l’ensemble des voix des députés de l’Ain) contre 233. Et le 9 décembre, après le vote des Sénateurs (179 voix contre 105), le concordat est abrogé. Mais les lois sur les congrégations sont maintenues. A partir de cette date, la République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte. Mais elle garantit la liberté de conscience et celle du culte. En outre, une mesure exécutoire prévoit l’inventaire des établissements consacrés notamment au culte catholique, avant la dévolution des biens des Eglises à des associations cultuelles, en vertu de la loi de 1901. Les récits de la presse et la mémoire collective ont contribué à laisser une image brouillée des inventaires de 1906. Nous essaierons de sentir la physionomie de ce phénomène, de humer succinctement l’atmosphère au sein du diocèse de Belley et donc dans le département de l’Ain car depuis 1823, les limites de chacun se superposent. Mais auparavant, nous ne pouvons omettre d’évoquer la place éminente d’un enfant de l’Ain, Edgar QUINET, dans l’évolution de la pensée tout au long du XIXème siècle. L’importance d’Edgar QUINET dans l’histoire de la laïcité n’est plus à démontrer. La philosophie politique d’Edgar QUINET est que les régimes autoritaires doivent faire place à des démocraties fondées sur le respect de toutes les libertés, en particulier celle de conscience et du culte. Ceci exclut tout droit d’une église spécifique à occuper dans l’ordre politique, une quelconque place privilégiée. |
|
L’échec de la Révolution de 1848 que Quinet interprète comme la conséquence de la faiblesse des démocrates, le conduit à poser la question de la sécularisation en des termes beaucoup plus politiques. La contre-révolution triomphe en France, au moins temporairement, sous le biais de sa légitimation religieuse. La prochaine chance de la démocratie historique, ne peut être saisie que si elle se dote, à l’avance, d’un programme sans ambiguïté : la séparation la plus complète, la plus radicale, entre l’église et la société laïque. « Dans une société laïque, la séparation doit être absolue. Le moindre lien temporel qui subsiste peut amener la ruine ». | La philosophie d’Edgar QUINET |
Trois points sont mis en avant :
Dès ses textes de 1850, s’articulent les principaux thèmes de l’argumentaire républicain des décennies suivantes en matière de laïcité : l’ancrage de la sécularisation depuis la Révolution ayant commencé dans le domaine politique et juridique, il convient de l’étendre maintenant au domaine scolaire. Il faut mettre fin au terrorisme moral d’une instruction religieuse catholique qui espère, par de précoces peintures de l’enfer, impressionner durablement l’esprit de l’enfant et faire en sorte qu’il demeure esclave le reste de sa vie. Mais QUINET ne propose pas d’exclure la religion «un peuple qui perdrait l’idée de Dieu, perdrait par là tout son idéal». «Qui vous nie qu’il ne fût préférable de n’avoir qu’une religion, à laquelle tous les citoyens crussent avec la même énergie de foi, surtout si cette religion était conforme à toutes les lois de la science laïque». Cette religion, pour QUINET, est le protestantisme, dont le caractère moderniste et libéral par essence est hors de doute, et qui fait antithèse avec un catholicisme irréductiblement médiéval et rétrograde. On peut noter chez lui, au sein même d’une pensée anticléricale, la thématique de la foi comme garantie de la cohésion sociale et morale d’un pays dont QUINET, «non catholique vivant en pays catholique» garde une sorte de nostalgie. Il s’oppose par exemple à BLANQUI, chantre de l’athéisme, défendant que tous les dieux sont des créations de l’Homme, depuis les premiers temps, et qui veut encore, en 1879, déchristianiser la France. La séparation des églises et de l’État n’avait pas sa faveur. Il la jugeait trop généreuse «la meilleure auxiliaire du Capital». Il prônait la suppression des cultes, l’expulsion des prêtres. Il redoutait que le mot laïque, ne prête à confusion, sous sa plume «avec les religiosâtres comme QUINET». |
Pourtant les libres penseurs qui émergent dans le département se rattachent à Quinet.
|
Les libres penseurs dans le département |
La montée de l’opposition à la toute puissance de l’église A titre d’exemple, voici un compte rendu extrait d’une chronique constante et détaillée que rédigea d’une plume « alerte », le curé BERNARD, desservant de MANTENAY-MONTLIN de 1862 à 1899. Il relatait les évènements de la commune et plus particulièrement ceux gravitant autour des affaires religieuses (construction de la nouvelle église, démêlés avec le Conseil municipal en de multiples occasions et notamment sur l’application des lois scolaires, procès, interventions de Monseigneur LUÇON, activités de la fabrique, dons, souscriptions...) Le prêtre ayant fait en chaire un sermon sur les Législatives de 1889 est dénoncé au préfet par des paroissiens. «Au mois d’octobre 1889 eurent lieu les élections législatives. L’Assemblée Législative précédente avait édité des lois odieuses et impies dites loi scolaire, loi du divorce et loi militaire. La loi scolaire prohibait la prière, le catéchisme, l’éducation religieuse, le crucifix dans les écoles communales. C’était la laïcisation des écoles ou la franc-maçonnerie sous prétexte de neutralité. Le divorce autorisait la séparation des époux pour certains motifs et brisait les liens sacrés du mariage religieux. La loi militaire, pour empêcher les vocations au sacerdoce, englobait les séminaristes dans les cadres de l’armée au moins pendant un an. |
|
Le curé de MANTENAY, huit jours avant les élections eut le courage de lire en chaire
la lettre circulaire de Monseigneur GIRARD, évêque d’AUTUN, lettre très éloquente
qui flétrissait les lois scélérates et impies qui marquaient une décadence morale
effrayante et étaient un acheminement prononcé vers la franc-maçonnerie et le socialisme
qui commençaient à dévorer la France.» Les radicaux de MANTENAY, pris d’un beau zèle pour le salut de la République en danger par la prédication et les sages conseils du zélé pasteur, dénoncèrent le prêche du curé au Préfet de l’Ain, Gaston JOLLIET de triste mémoire et au Procureur de la République. |
Un procès intenté à un prêtre par une municipalité |
«Nous lisons dans SAINT-LUC, chapitre 20, que les princes et les scribes déléguèrent
auprès de Jésus Christ des hommes fourbes pour le surprendre dans ses décisions
et livrer ensuite au pouvoir civil afin de le faire condamner. Ce que les juifs
faisaient alors contre Jésus-Christ, les radicaux le font aujourd’hui contre le
prêtre qui est le point de mire, dont on pèse les paroles pour y trouver un sujet
de critique.
Eugène MEUNE, adjoint radical, petit charron de la localité où il exerçait son empire, Joseph FLECHON charpentier journalier, Camille CHEVAILLER, cabaretier, Jean-Baptiste GUYON, instituteur à VERNOUX, ancien enfant de chœur du curé de MANTENAY, élève de son catéchisme et son protégé, firent collectivement une lettre de dénonciation contre le pasteur et s’empressèrent de l’envoyer à la Préfecture par l’intermédiaire d’un nommé Jean-Baptiste MARGUIN, de SAINT JULIEN, marchand de marmites et de clous, Président du Comité Républicain du Canton de SAINT TRIVIER. Cette poursuite ne me surprenait pas. M. GAUTHIER, mon prédécesseur avait été cité devant le juge de paix de SAINT TRIVIER et condamné à l’amende pour avoir puisé un seau d’eau dans un puits auquel il n’avait pas droit... Le procès eut néanmoins ses suites. Le curé, cité au tribunal de BOURG, défendu par M. RIVE avocat au barreau de LYON et propriétaire à MANTENAY, fut condamné aux frais et à seize francs d’amende. C’était la plus légère amende possible». |
|
«L’année 1892 fut tristement remarquable pour la paroisse de MANTENAY. Le quinze mars, eut lieu dans cette paroisse l’enterrement purement civil, laïque et franc maçon d’un nommé Joseph-Etienne MARGUIN âgé de 25 ans. Il se donna tout entier dès l’âge de 17 ans à la Franc-maçonnerie. Il se moquait de la religion et de ceux qui la pratiquaient, cherchait à faire des adeptes et il réussit à séduire sa mère et sa tante qui depuis cette époque ne fréquentaient plus les sacrements. | Le premier enterrement civil |
Dieu cependant dans sa bonté infinie, ménagea à cet impie le temps de se repentir,
de renoncer à la Franc-maçonnerie, et de revenir à la religion qu’il avait pratiquée
dans sa jeunesse. Pendant plus d’un an il fut cloué sur son lit par une cruelle
maladie vraiment incompréhensible qui le réduisit à l’état de squelette. Je me présentais
plusieurs fois pour voir le pauvre malheureux mais sa mère aussi criminelle que
le fils, me ferma la porte et le jeune homme mourut comme il avait vécu, ayant fait
préalablement un testament civil, laïque et franc-maçon, qui lui fut accordé. Cet enfouissement attira sur cette famille un souverain et universel mépris. Le clan maçonnique de SAINT JULIEN, SAINT TRIVIER, CURCIAT, SAINT NIZIER, COURTES, VERNOUX, vint triomphalement s’unir à quelques rares personnes de MANTENAY pour accompagner à sa demeure dernière l’être le plus méprisé de la commune. Je dois cependant dire, à la honte de cette paroisse, que le maire Alphonse GERAY, l’adjoint Eugène MEUNE, MATHIEU instituteur et secrétaire de la mairie, Marie DEGOTTEX, le garde champêtre tous fonctionnaires eurent peu d’honneur pour oser se mêler et s’unir au cortège. Mais ils s’attirèrent de la part des honnêtes gens les quolibets les moins flatteurs». |
La mise en œuvre de la Loi La France vivait sous le régime du concordat promulgué le 8 avril 1802, et signé par Napoléon Bonaparte, Premier Consul et le pape Pie VII. Par ce texte, le gouvernement français conserve la mainmise sur l’organisation de l’église catholique (comme la nomination des évêques) et le clergé doit lui prêter serment de fidélité. En contre partie, le gouvernement s’engage à rémunérer les ministres du culte catholique ainsi que des autres confessions représentées alors en France (protestants luthériens, réformés, puis israélites en 1808). Ce concordat est toujours en vigueur dans les trois département du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, sous domination allemande lorsque a été votée la loi de 1905. |
La fin du concordat de 1802 |
La loi du 9 décembre 1905 complétée par l’instruction administrative du 2 janvier
1906 supprime les établissements publics du culte (fabriques – menses).
L’administration des domaines procédera à l’inventaire descriptif et estimatif :
Ce sera un gros travail pour les domaines où les directeurs utiliseront tout le personnel assermenté, inspecteurs, sous-inspecteurs, receveurs, receveurs intérimaires, ainsi que les percepteurs et fonctionnaires des impôts. On distinguera :
|
|
C’est Monseigneur LUÇON qui est à la tête du diocèse pendant la période qui nous
intéresse. Il le quitte dans les premiers mois de 1906, c'est-à-dire en pleine période
d’inventaire. Né en 1842, ordonné prêtre en 1865, il est nommé évêque en 1877. Peu après son arrivée à BELLEY, il s’attaque à la rédaction du nouveau code diocésain avec la convocation de l’élite du clergé du diocèse lors d’un synode (du 23 avril au 28 avril 1897). |
Les réactions de l’église |
Il quittera le diocèse en 1906, le pape PIE X l’ayant nommé archevêque de REIMS,
suite au succès de la fête de la béatification du père CHANEL (1889) mais surtout
suite à celle du curé d’ARS (1905). C’est Monseigneur LUÇON qui doit faire face aux lois anticléricales (Pâques 1903 – Fête de Notre-Dame…). Il est aidé dans cette attitude ferme par un homme de caractère, le chanoine SEVIN, qu’il nomme vicaire général, sans attendre l’ordre du gouvernement. Les inventaires débutent «dans le calme» le 24 janvier 1906 par la cathédrale de BELLEY, en sorte l’inventaire pilote. Si tout se passe bien, les autres paroisses respectueuses de la hiérarchie et de l’autorité épiscopale devraient se conformer à ce modèle. Le raisonnement est identique de la part des domaines agissant d’une manière prudente et conciliante. L’évêché de BELLEY se cantonne d’abord dans une opposition vague, mais toujours d’une manière indirecte, envisage l’inventaire comme une future spoliation. |
|
Il regrette le choix du personnel chargé de l’inventaire «agent du fisc et non
magistrat». Pourtant dès le 24 janvier l’évêque a adressé une lettre de protestation aux délégués de l’État et il fait envoyer dans toutes les paroisses un modèle de lettre de protestation. |
Les inventaires dans l’Ain |
Il ordonnera la lecture, dans toutes les Eglises, de l’encyclique papale du 11 février
1906 « VEHEMENTER NOS ». Sur un plan pratique, après avoir visé à régler l’attitude des curés et des fabriciens, il sous-entend le mot d’ordre d’abstention de toute coopération active. Les personnes présentes se borneront à être des témoins passifs. Les représentants légaux des fabriques devront lire une protestation, puis ouvrir les portes de l’église, surveiller en silence et enfin réclamer la copie du procès verbal d’inventaire. |
|
![]() |
« Modèle-type » de la lettre de protestation |
En cas de demande d’ouverture du tabernacle les personnes convoquées «témoins passifs»
devront aller quérir le curé s’il n’est pas présent. Peu à peu les fabriciens et surtout les curés – souvent secrétaires du Conseil de Fabrique – se libèrent de la lettre type pour laisser place à leurs propres convictions.
![]()
Trente deux des quarante cinq inventaires «anormaux» se dérouleront d’ailleurs dans cette deuxième période. |
|
Participation aux inventaires normaux :
|
Quelques inventaires «anormaux» |
![]() |
|
A BOULIGNEUX, le 5 mars 1906, l’agent est prévenu que le curé et les fabriciens n’assisteront pas à la « prisée ». Il requiert deux témoins, le garde champêtre et l’instituteur. Ils pénètrent dans l’église. Là, tout est tendu de noir. Les dix statues de saints ont la face voilée de crêpe noir. Une pancarte est disposée près de l’autel. « Aujourd’hui 5 mars 1906, Jésus Hostie est absent de cette église et de son tabernacle, pour ne pas assister, ainsi que son prêtre, à l’inventaire de ce jour. Les saints ont la face voilée dans ce saint lieu. L’église, dans son deuil, pleure le sacrilège ». Le tabernacle est grand ouvert et ne renferme qu’une tête de mort, peinte sur bois. | Les réactions dans quelques communes |
A MARSONNAS, le curé et les fabriciens refusent l’ouverture de la porte de la sacristie,
où se trouvent les vases sacrés. L’agent fait appel à un serrurier qui, après bien
des essais le matin et l’après-midi, réussit à l’ouvrir. C’est la seule intervention
d’un serrurier recensée au diocèse. A CONDEISSIAT, un capitaine, PELLETERAT DE BORDES, bien qu’étant le plus jeune a pris la parole : « Notre conscience ne nous permet pas de tolérer l’inventaire. Nous ne le subirons que par la force ». Ce même capitaine essaie de lever les esprits dans les paroisses environnantes en particulier celle de FAREINS où prit naissance quelques années avant la Révolution une secte d’illuminés appelés Farinistes – sorte de jansénisme chassé de PARIS. Mais la secte n’est plus qu’un mythe et la population désapprouve M. de BORDES qui est seul à faire vraiment de la résistance. Le Courrier de l’Ain, journal radical, signale que M. de BORDES se croit encore «au bon vieux temps des Seigneurs». Le percepteur de VONNAS signale que le curé «est fortement poussé par les 2 ou 3 châteaux environnants». Ce «monde des châteaux» tente, sans grand succès de créer l’illusion de paroisses en révolte. A GUEREINS, l’agent note que le président de la fabrique, «un exalté, fanatique assez dangereux parce que je le crois inconscient», n’arrive pas à mobiliser beaucoup plus que quelques familles de gros propriétaires qui prêchent la révolte. |
|
A SAINT ETIENNE DU BOIS, le curé évoque les grandes peurs révolutionnaires de 1789-1794. «Il suffit de nous rappeler un peu ce que virent nos grands-pères aux pires jours de la révolution. A Saint Etienne du Bois, le 6 février 1794, notre vieille église que celle-ci a remplacée fut envahie au matin par un agent de l’État tout comme aujourd’hui et moins d’un mois après le 2 mars 1794, tout le mobilier était mis à l’encan, vendu, dispersé, l’église était fermée et le culte public interdit». Il déclare en s’adressant à l’agent. «Vous, représentant de l’État laïque et athée». | Noblesse et gros propriétaires sont les plus enclins à prôner la révolte |
Quelques fragments de déclaration : CHATILLON LA PALUD : «Cet état jacobin et maçonnique, dans quel excès d’alcoolisme politique se jettera-t-il ?» CHALEY : «Cette loi, fabriquée par quelques juifs et francs-maçons de la chambre des Députés et du Sénat… qui conduit à l’humiliation de la France, devenue la risée de l’Europe, du monde entier et même des sauvages. L’Allemagne en profite pour faire passer cette noble et malheureuse France sous les fourches caudines dans l’affaire du Maroc.» |
|
TENAY : Le père VIAL résume la peur de certains prêtres et fabriciens qui voient dans cette opération une remise en cause du droit de propriété, le début d’une plus vaste spoliation «Hier les congrégations, aujourd’hui les églises, demain les usines et le capital. L’État est parait-il le maître de tout et partout». | Quelques déclarations enflammées |
Contrairement à ce discours de région industrialisée, dans les régions agricoles
(Bresse, Haute Bresse) cette peur s’affirme par l’emploi de mots propres à la propriété
terrienne. Tous ces évènements de fin 1905 et début 1906 sont abondamment relatés dans la presse locale par le Journal de l’Ain, conservateur (droite), le Courrier de l’Ain (gauche), avec des tonalités différentes. Mais il semble que la population de l’Ain, dans sa grande majorité, n’ait pas été hostile à cette loi (thème essentiel des élections de mai 1906) puisque les 6 députés élus lors du scrutin étaient des radicaux. |
|
- Au 1er tour : BOURG II : BOZONNET - radical combiste TREVOUX : BERARD - radical combiste BELLEY : BAUDIN P - radical dissident NANTUA : CHANAL - radical combiste BOURG I : AUTHIER - radical combiste GEX : BIZOT - radical combiste. |
Les électeurs de l’Ain ne sont pas hostiles à cette loi |
Aucun élu pour « l’action libérale et conservateurs » malgré les candidatures de
BRILLAT-SAVARIN et de GIROD DE L’AIN, ni pour les socialistes unifiés. Dans le courrier de l’Ain, du 18 Mars 1906, nous pouvons lire : |
|
«C’est bien en vain que les bons cléricaux vont criant dans leurs feuilles réactionnaires que les populations se révoltent contre l’inventaire des biens que les associations cultuelles auront à gérer dans l’avenir : sur 886 établissements à inventorier que compte le département de l’Ain il n’en est plus que 46 où la formalité n’a pas encore eu lieu. Des 46 opérations restant à réaliser il en est 12 dans l’arrondissement de Bourg, 12 dans celui de Belley, 18 dans celui de Nantua et un seul dans celui de Gex, à Grilly. | Dans «Le courrier de l’Ain» |
Encore, dans ces 46, il en est bon nombre où la population est absolument indifférente
; seul le curé ou quelques meneurs s’opposent à l’inventaire et pour des raisons
d’ordre politique, le plus souvent, sinon toujours ; Ex : Guéreins, où M. Villefranche
est maire ; Fareins où M. Pelleterat de Bordes se croit encore au bon vieux temps
des seigneurs ; Ars, où le curé tient à appeler l’attention des « clients » crédules
sur sa fabrique de miracles». L’application de la loi va s’étaler sur plusieurs années. Elle va entrer en vigueur le 11 décembre 1906. Les maires répercutent les arrêtés préfectoraux de mise sous séquestre des biens des bâtiments ecclésiastiques. Ils seront attribués à des associations cultuelles, à des bureaux de bienfaisance, voire à la commune. Mais les contentieux, les réclamations, les refus de signer les documents de mise sous séquestre sont nombreux. En effet, les objets de culte avaient souvent été achetés grâce à des dons de particuliers : sommes, rentes versées pour que des messes soient dites, offrandes. |
|
Les églises, parfois, avaient été édifiées grâce à des souscriptions de participants. Les conseils de fabrique géraient tout cela et n’avaient guère envie d’en être dépossédés. Certains avaient acquis des terrains. C’est très souvent le conseil de fabrique qui possède les droits à s’occuper des Pompes funèbres. | Après les inventaires |
Certaines communes n’auront pas d’emplacement à offrir ni de personne à mettre au
service du corbillard. D’où des discussions, des tractations, des courriers, des
requêtes. Des bâtiments (presbytères) sont mis en vente. Le 2 janvier 1907 est promulguée la loi maintenant l’affectation religieuse des lieux de culte, les communes et/ou les départements en étant propriétaires. Mais les prêtres voient leurs ressources diminuer et le 8 octobre 1907 Pie X institue le «denier du culte». En conscience, sous peine de péché, les catholiques sont invités à verser le revenu d’une journée de travail ou le salaire d’un jour. Dans les années qui suivent la promulgation de la loi, l’emprise de l’église catholique sur les consciences et les comportements semble diminuer. Les enterrements civils, sans faire un bond démesuré, voient leur nombre augmenter, les funérailles ne dépendant plus exclusivement de la fabrique. Il faut dire combien ces sépultures étaient réprouvées. |
Encore quelques exemples : Suite du manuscrit du curé BERNARD rédigé par un successeur à MANTENAY : «La loi de séparation fut funeste pour l’église. Petit à petit on vit les familles quitter l’église. Les offices ne sont plus suivis comme en 1901. L’abbé BALLET resta curé jusqu’en 1912, témoin attristé de la perte de la pratique religieuse dans la paroisse. Les mauvaises dispositions de certains meneurs contribuèrent encore à faire perdre l’esprit de foi et de respect à l’égard du curé. On loua le presbytère un prix exorbitant. L’abbé BALLET en référa à l’évêché. Le bail est déclaré inacceptable. On mit piteusement le curé de la paroisse à la porte du presbytère et le culte est supprimé. |
|
Au bout d’un an de suppression, l’abbé DUBOIS est envoyé par l’évêché et le culte est rétabli en février 1913. Les débuts n’ont pas été consolants. La fête de Pâques en 1914 n’a pas été suivie par les paroissiens. La première communion a laissé au nouveau pasteur un petit souvenir». | Quelques conséquences |
La loi de 1905 fut souvent appliquée et longtemps après la promulgation. A LESCHEROUX,
le Conseil municipal a voté le transfert dans le nouveau cimetière communal d’une
croix centrale érigée dans l’ancien cimetière, en août 1920. Le Préfet a répondu que cette délibération n’est pas susceptible d’approbation. « Par application de la loi du 9 décembre 1905 il n’est pas permis d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des monuments funéraires et des emplacements réservés aux sépultures dans les cimetières ». A titre de tolérance, il est admis que les municipalités peuvent, si elles le jugent à propos, maintenir les emblèmes religieux où ils ont été enlevés et même continuer de les entretenir. Mais tel n’est pas le cas à LESCHEROUX, puisqu’il s’agit de l’érection d’une croix dans un nouveau cimetière. |
Conclusion Si l’application de la loi du 9 décembre 1905 n’a pas toujours été facile, tout le monde s’accorde à penser qu’elle a été une loi de raison, de tolérance, de conciliation, en un mot de laïcité. Elle a assuré la paix sociale depuis un siècle en permettant de vivre ensemble croyants de tout bords, agnostiques et athées, en voulant séparer, dans un domaine sensible, ce qui relève du public (l’égalité des droits) et ce qui relève du privé (les convictions philosophiques et religieuses). Elle a permis également à la République française d’accéder à une relative sérénité dans ses rapports avec les religions. Elle affirme pour chacun la liberté de conscience, en conformité avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée par l’Assemblée nationale le 26 août 1789, tout en garantissant le libre exercice des cultes. Jean JAURES voulait, à travers cette loi, régler la question religieuse afin de s’attaquer aux problèmes sociaux. Le chantier reste ouvert. |
Sources
|
Comité du 9 décembre 1905 – Association loi 1901 Siège : Fédération des Œuvres Laïques de l’Ain 42 rue Charles ROBIN 01000 BOURG en BRESSE Mise en page : Bernard BOISSON Imprimé par nos soins – Août 2005 |
![]() La séparation de l’église et de l’État, dessin de Léandre paru dans Le Rire le 20 mai 1905 (au milieu, J-B Bienvenue-Martin, ministre de l’Éducation nationale) |